DIALOGUE ENTRE LES ÉPOQUES
La guerre : un sujet universel traité par des artistes
que quatre siècles séparent.
La galerie Kraemer a à cœur de mélanger les styles en invitant dans ses espaces des œuvres d’art éclectiques issues de l’art moderne et contemporain afin de les associer à son domaine de prédilection, le mobilier et les objets d’art du XVIIIe siècle. Ici, le choix s’est porté sur un quadriptyque sur toile de Obey et un cabinet d’époque Louis XIV en marqueterie.
Shepard Fairey, plus connu sous le pseudonyme Obey est l’un des street artistes les plus reconnus de la scène contemporaine.
Il débute sa carrière en créant une campagne de street art en 1989 nommé « André the Giant Has a Posse », renommée « Obey Giant » en 1998. L’œuvre qui l’a révélé au grand public a été le poster « Hope » qu’il réalisa lors de la campagne présidentielle américaine de 2008, affichant son soutien à Barack Obama. Obey s’exprime à travers des collages, des affiches mais également des graffitis urbains.
Ses fresques décorent de nombreuses villes. Parmi elles, Paris, où il a notamment réalisé une œuvre en souvenir des attentats du 13 novembre 2015 accompagnée de la devise française. Son art est marqué par un engagement pacifique dont il ne cesse de renouveler les représentations. Son but est de faire prendre conscience au regardeur du sens que chaque image porte en elle et du message qu’elle est capable de délivrer.
Ici, il matérialise son engagement à travers « Middle East Mural » réalisé en 2009, l’un des plus grands ensembles sur toile connu de l’artiste. Présenté dans des tons chauds de rouge et de brun, il rassemble des symboles qui transmettent un message universel de paix et de vivre-ensemble. Il s’oppose par cela aux guerres qui sévissent au Moyen-Orient à travers la représentation des fusils dans lesquels sont plantées des fleurs, et celui du signe V réalisé avec les doigts.
“C’est donc la guerre qui lie les deux œuvres principales présentées au sein de la galerie.”
Le cabinet, lui, retranscrit des scènes de la vie militaire à travers sa marqueterie d’écaille, de bronze et d’étain.
Ce cabinet d’époque Louis XIV a très probablement été réalisé par l’ébéniste et marchand Henry Van Soest. Il multiplie des scènes de bivouacs avec danseurs et musiciens militaires, des réunions d’état-major avec des plans de batailles, des scènes de combats et de sièges d’une forteresse avec de l’artillerie, chacune sur un fond d’écaille. Cette écaille rougeoyante a permis à l’artisan de détacher très précisément les figures et d’insister sur leurs actions. La chaleur de ce matériau vient nous rappeler les teintes utilisées par Obey dans son quadryptique. Il utilise la technique de marqueterie en première partie et contrepartie dans le même esprit que la marqueterie perfectionnée par André-Charles Boulle en France à la même époque.
Un véritable dialogue s’établit entre les deux œuvres via la figure de la jeune femme représentée par Obey. Dissimulée derrière des rideaux, sont regards méfiants traduits une certaine curiosité pour ce qu’elle découvre. Ce meuble venu des pays du nord de l’Europe est en effet une curiosité pour une jeune femme originaire d’Orient, bousculant ainsi les modes de représentation qu’elle connaissait jusque-là. Les influences arabo-musulmanes de l’œuvre d’Obey s’accordent parfaitement avec l’originalité dont faisaient preuve les artisans du siècle de Louis XIV.
“Ces deux œuvres ont été mises en parallèle lors de l’exposition « Urban Révolution » organisée en collaboration avec Magda Danysz du 15 octobre 2018 au 31 janvier 2019.”
Étaient présentées des œuvres de nombreux artistes urbains renommés dont le travail est aujourd’hui reconnu. Il s’agit notamment de Banksy, Invader, Retna, ou encore André Saraïva.
L’exposition Urban Revolution se penche sur les raisons qui font des artistes de cette mouvance de véritables talents et montre en quoi leurs pratiques variées s’inscrivent résolument dans l’Histoire de l’art. c’est dans les années 1980 que l’expression des artistes de rue évolue d’une signature faite de lettres à une signature intégrant une nouvelle conceptualité faîte d’icônes et de logotypes. Obey s’est notamment tourné vers la représentation de visages sur les murs, ce nouveau style devenant ainsi son signe.
Sous l’influence de ces nouveaux artistes, le street art se détache du graffiti en venant l’enrichir de nouveaux concepts, notamment dans l’objectif d’éveiller les consciences.
Ébéniste parisien d’origine allemande, Jean Holthausen obtient sa maîtrise en 1764.
Son œuvre couvre les mouvements Régence, Louis XV et Transition, mais ayant obtenu sa maîtrise tardivement, peu de ses meubles sont estampillés. Ses réalisations révèlent une préférence pour les marqueteries de fleurs, de cube, d’attributs et il se démarque par un attrait pour les laques d’Extrême-Orient sous forme de placage.
Les laques dits « de Coromandel » ont été mis au point à partir du XVIIè siècle en Chine. Elles ont été nommées ainsi par les Anglais, en référence à la côté orientale de l’Inde où étaient chargées les laques sur les navires de la Compagnie des Indes. La technique du laque est la superposition de fines couches de bois recouvertes de tissu maintenues entre elles par de la colle végétale. Le laque obtenu était ensuite peint et décoré de motifs par de profondes incisions.
Ces laques décoraient à l’origine des cabinets et des paravents de grande taille qui étaient ensuite démontés par les artisans européens afin de les appliquer sur les meubles à la mode. C’est ainsi que des panneaux de laque se sont retrouvés sur les commodes, encoignures et autres meubles.
Cette commode en laque de Coromandel reflète le goût pour l’Orient des pays occidentaux et particulièrement de la France dès 1730 à partir du règne de Louis XV, sous l’influence des marchands-merciers. Ils prélevaient le laque sur les meubles importés qu’ils affinaient ensuite pour les plaquer sur le bâti de leur meuble. Une fois intégrés au meuble, ces laques recevaient des montures en bronze doré finement ciselées.
A travers cette commode, Holthausen réalise un magnifique exemple de la pratique de son temps où l’artisan décide d’apposer le laque sur un meuble de couleur noire afin de créer un ensemble harmonieux et respectueux de l’esthétique originelle du panneau.
La forme légèrement bombée de la façade donne vie aux personnages dépeints sur les panneaux de laque. Les bronzes se retrouvent discrètement en chutes, en lignes de chute, en sabots, en entrées de serrure et en poignées. Ils viennent définir et rehausser les lignes très délicates de la commode par leurs jeux de courbes et contre-courbes dignes du style Louis XV. Le dessus de marbre noir veiné vient sommer l’ensemble et souligner le galbe du meuble par sa mouluration délicate.
Les meubles ornés de laque sont rares dans l’œuvre de Holthausen, ce qui fait de cette commode un modèle unique en son genre.